Un tableau n’est pas qu’une succession d’étapes techniques.
Il est surtout l’aboutissement d’un cheminement personnel vers la création d’une pièce unique.
J’aimerais pouvoir expliquer précisément qu’un tableau s’inspire d’un fait ou d’une expérience précise. Mais cela n’est pas possible, car un tableau s’alimente de toutes mes expériences passées, de ce que j’ai observé ou testé, de ce que je ressens ou vis au moment où je le crée.
A travers un exemple, tentons de voir comment les choses se mettent en place.
Ce qui nourrit la création
Cela va te sembler curieux mais, au moment où je crée un tableau, je n’ai pas conscience de tout ce qui influence mon geste.
Lors de la création, mes actes se connectent à ma sensibilité, sans passer par la case cerveau.
Je ne comprends mes propres tableaux que quelques temps après.
Par exemple, j’ai eu une période pendant laquelle j’ai peint des enfants et des femmes enceintes. C’était ce qui m’inspirait, j’ai réalisé plusieurs esquisses sur ces sujets, et même un petit tableau.
Le temps a passé. J’ai regardé cette série. Et j’ai réalisé que je l’avais peinte alors qu’une amie très chère était enceinte. Elle habite un peu loin, je n’étais pas en contact avec elle au quotidien. Mais je pensais à elle, plus ou moins consciemment. Je n’ai réalisé qu’après coup le lien entre mes créations à ce moment-là et sa grossesse.
J’ai peint depuis d’autres tableaux sur ce même thème, mais ils n’ont pas l’intensité de ceux que j’ai réalisés pendant cette période.
Mes tableaux : mémoire de mes états d’âme
Lorsque nous sommes face à un tableau, des émotions nous traversent, y compris l’indifférence si tel est le cas.
Ces émotions sont propres à chacun, car elles dépendent de notre vécu, de ce que les couleurs, la composition, le thème évoque pour chacun.
Le plus amusant est la différence qu’il peut y avoir entre ce que je ressens personnellement pour mes propres tableaux, et ce que les personnes m’en disent.
Voir un de mes tableaux me transporte « émotionnellement » dans la période au cours de laquelle je l’ai peint. Chaque tableau porte en lui un moment de moi, le lieu, les sensations.
Mes souvenirs à travers quelques exemples
Voici quelques exemples pour montrer qu’une œuvre me parle au-delà de ce qu’elle représente.
- Les esquisses de nus réalisées en cours de modèle vivant me transportent dans la salle de cours où je les ai réalisés. Paradoxalement, ils m’évoquent le froid de la salle en hiver. Les modèles avaient des petits chauffages soufflant dirigés sur eux, mais pour les élèves, il fallait attendre que la grande pièce se réchauffe. Je retrouve aussi la bonne ambiance, la bienveillance du groupe et du prof.
- Les tableaux des nuages monochromes me rappellent mon arrivée en métropole, après 8 années passées en Martinique. Économie de couleurs et de moyens pour ces tableaux, ils ont été peint alors que j’attendais que le conteneur rempli de toutes les affaires de la famille (dont mon matériel de peinture) traversent l’Atlantique. Je n’ai pas pu attendre, j’ai acheté 3 couleurs (beige, bleu, magenta), un pinceau, et des toiles. Je ne sais pas pourquoi avoir choisi les nuages, mais au final, j’ai ensuite continué la série, ajoutant progressivement des couleurs.
- Le tableau peint lors du marché de Bordeaux, en mai 2017 me rappelle mon appréhension de cette situation. Il évoque également l’isolement dans lequel j’ai réussi à me mettre alors que j’étais au milieu de la foule. Parmi les réactions que j’entends régulièrement à son propos, la tristesse est régulièrement citée. Alors que je ne le ressens pas comme cela.
Je pourrais continuer ainsi pour chacun de mes tableaux.
Ils portent tous en eux une histoire, une raison d’être.
Mon regard sur eux dépasse leur représentation, ils me projettent dans le passé, dans l’intime aussi.
Certains tableaux m’évoquent des sentiments personnels, que je n’ai pas envie d’exposer en plein jour. Je sais que le tableau ne me trahit pas : il garde le secret des circonstances qui l’ont vu naître. Par contre, il m’est parfois difficile d’expliquer les fondements d’un tableau car cela entre dans une intimité que je préfère garder pour moi.
Ami.e.s artistes, comment regardez-vous vos tableaux ?
Les vois-tu comme autant de souvenirs et de sentiments personnels ?