Posons le décor. Un matin, en Guadeloupe. Il fait déjà chaud.
La mer n’est jamais loin sur une île, mais nous sommes ici dans la campagne, au cœur d’un jardin créole.
La nature comble le silence : les oiseaux chantent. Le coq ponctue le temps de son ‘Cocorico’. Les mangues mûres tombent massivement sur le sol.
Au bout d’une route où les touristes ne s’aventurent que quand ils se perdent, Anaïs Verspan m’accueille – téléphoniquement – en compagnie de son bébé. Alors d’accord, ce décor sort tout droit de mon imagination, mais la suite, notre échange, est bien réel.
Anaïs Verspan, artiste guadeloupéenne, me raconte son parcours et ses envies. Notre conversation est riche et intense, le temps file à toute vitesse.
Une artiste malgré elle
Anaïs a mis un peu de temps avant ‘d’accepter’ son statut d’artiste. Pourtant son parcours, ponctué de multiples rebonds, la conduit naturellement à cette situation.
Enfant, sa première parole passait par le dessin. Dès le lycée, elle composait sur châssis et sur des murs, de l’art abstrait.
Après un bac littéraire, elle part en Martinique étudier à l’IRAVM (Institut Régional d’Arts Visuels de la Martinique). Mais elle se trouve en contradiction avec l’école, son art ne se retrouve pas dans ce quel apprend. Elle la quitte avant la fin du cursus.
Elle enseigne ensuite pendant deux ans en Arts appliqués. Mais elle a quasiment l’âge de ses élèves. Le train-train dans lequel elle se trouve ne lui convient pas, elle a encore envie d’expérimenter.
Elle devient chef d’entreprise. Elle ouvre le show-room ‘Afro Excentrik’, et réalise du design de mode.
La peinture revient… pour peindre des décors. Elle peint également sur toiles, sans les montrer.
Mais une cliente l’inscrit à son insu à une exposition. En voyant son nom sur l’affiche, elle sait qu’elle ne peut plus renoncer. Elle ‘peint dans l’urgence‘, quasiment en ‘écriture automatique‘. Elle se répète ‘N’aie pas peur. Vas-y’. Elle retrouve une liberté créatrice, se détache du processus de création qui lui avait été imposé à l’école.
Cette exposition est ‘THE révélation‘. Elle est alors reconnue par d’autres artistes.
Anaïs Verspan, engagée dans la culture guadeloupéenne
S’enchaine alors une autre exposition personnelle dans une galerie de Sainte-Rose (en Guadeloupe).
Elle crée alors la série ‘Bigidiplakata’. Ce nom évoque un pas de danse qui simule quelqu’un qui titube mais ne tombe pas. A l’image de son état d’esprit.
A partir de cette série, elle trouve le style ‘Anaïs Verspan’ : les noirs, les couleurs, la recherche d’un équilibre.
‘Je transcende en images la Guadeloupe, une culture où rien n’est linéaire’.
Au terme de ce long processus, elle assume sa qualité d’artiste. Elle réalise différentes expositions en Guadeloupe, en Martinique et en France métropolitaine.
Nous nous sommes rencontrées en décembre 2013 à la Biennale du Marin, en Martinique. J’avais alors mesuré la forme de ses couleurs, portées par un noir aux multiples facettes, tantôt mat, tantôt brillant.
Seule et à plusieurs
Anaïs revendique sa singularité. Elle entreprend les choses avec une vision singulière. Elle souhaite être neutre et indépendante dans le milieu artistique des Antilles :
‘Je crée comme l’art doit être. Indépendant. Je ne veux pas être mise dans une case, qui sera vite trop étroite pour moi.’
Mais elle est entourée.
D’une part, sa famille la soutient et croit en sa pratique. Elle se mobilise également quand il faut gérer le coup de feu d’une exposition.
D’autre part, elle peut compter sur trois amies, avec lesquelles elle forme un groupe d’artistes qui s’expriment au travers du projet lanmouplifo, love perfect feeling. Cet espace est un laboratoire où chacune s’exprime suivant son inspiration dans l’écriture ou la photographie. Elles explorent des thématiques vers où elles n’auraient pas été individuellement.
Des projets plein la tête
Pour la suite, Anaïs Verspan se voit en Guadeloupe. Elle se prépare à y installer un atelier dans l’année à venir.
Elle aimerait trouver une manière ‘d’associer l’art et la mode’. Tout boucle et s’enchaîne, tout prend sens petit à petit. La mode est l’une de ses premières expériences professionnelles. Je suis certaine qu’elle trouvera un moyen d’allier ce qui lui plaît. Le cheminement est en cours, les opportunités se présenteront.
Nous bavardons encore sur nos projets, l’art que nous observons autour de nous en Martinique et en Guadeloupe. Nous parlons aussi de parentalité, de l’opportunité de faire découvrir l’art à ses enfants. Mais déjà il n’est plus raisonnable de continuer, sous peine de ne jamais s’arrêter car il me semble que nous pourrions parler encore des heures.
Alors je pose ma classique question de conclusion :
Quel est ton pigment préféré ?
‘Tu me coinces’ me répond-elle. Elle finit par dire que ‘tous les pigments sont ses préférés car ils ne vivent qu’au contact les uns des autres‘. Et si cette conclusion ne s’appliquait pas qu’aux seuls pigments ?
Pour en savoir plus :
- Sa page Facebook
- Le projet lanmouplifo